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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

La Révolution des Fourmis (49 page)

BOOK: La Révolution des Fourmis
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Chaîne 345. La blague du jour : C’est l’histoire
d’un éléphant qui sort de la mare en maillot de bain et…

Chaîne 678. Actualités. France. Politique : Le
gouvernement décrète le chômage grande cause nationale et fait de la lutte
contre ce fléau son objectif numéro un. Étranger : manifestation au Tibet
contre l’occupation chinoise. Les soldats de Pékin ont roué de coups des
manifestants pacifiques et contraint des lamas à égorger des animaux afin de souiller
leur karma. Amnesty International rappelle qu’à force de massacrer des
Tibétains, Pékin est parvenu à ce qu’il y ait dorénavant davantage de Chinois
au Tibet que de Tibétains.

Chaîne 622. Divertissement. « Piège à réflexion
« : « Avec six allumettes, sauriez-vous construire huit triangles
équilatéraux ? Je vous rappelle, madame Ramirez, que la phrase destinée à
vous aider est : “Il suffit de réfléchir”. »

Après avoir emmagasiné une centaine d’informations
incomplètes et fragmentées, Maximilien et sa famille passèrent à table. Au menu
de ce soir-là, il y avait des pizzas surgelées, des filets de cabillaud aux
poireaux et des yaourts pour dessert.

Maximilien planta femme et fille devant leurs petits pots,
annonça qu’il avait du travail et alla s’enfermer dans son bureau.

Mac Yavel lui proposa d’entamer une nouvelle partie d’
Évolution
.
Une bière fraîche à portée de main, le commissaire bâtit une civilisation de
type slave qu’il mena jusqu’à l’an 1800, sans trop de problèmes. Mais
en 1870, il fut battu par l’armée grecque car il avait pris trop de retard
dans la construction de ses villes fortifiées ; en outre, le moral de son
peuple était au plus bas face aux ravages de la corruption dans son
administration.

Mac Yavel lui signala qu’il y avait risque d’émeute. Il
avait le choix entre envoyer la police pour mater les rebelles ou multiplier
les spectacles comiques pour détendre son peuple et soulager les tensions.
Maximilien nota sur son carnet de jeu que des comédiens pouvaient apporter leur
concours au sauvetage d’une civilisation en péril. Il ajouta même :
« L’humour et les blagues peuvent non seulement avoir un effet
thérapeutique à court terme mais aussi sauver des civilisations tout entières. »
Et il regretta de ne pas avoir consigné la blague du jour avec l’éléphant en
maillot de bain.

L’ordinateur précisa cependant que si les comiques étaient
capables de remonter le moral des populations déprimées, en même temps, ils
amenuisaient chez elles le respect envers leurs dirigeants. Ce qui amuse le
plus le peuple, c’est qu’on se moque du pouvoir en place.

Maximilien nota encore.

Dressant le bilan de la partie, Mac Yavel souligna de
surcroît qu’il était indispensable qu’il apprenne à assiéger les forteresses
ennemies. Sans catapultes ou sans blindés, il perdait trop d’hommes à l’assaut
des murailles.

— Tu m’as l’air préoccupé, émit l’ordinateur. C’est
encore ton problème de pyramide dans la forêt ?

Comme toujours, Maximilien s’étonna des dons de cette
machine, capable de passer pour un véritable interlocuteur rien qu’en reliant
des phrases entre elles.

— Non, cette fois, c’est une émeute dans un lycée qui
me tracasse, répondit-il, presque spontanément.

— Tu souhaites m’en parler ? demanda l’œil de Mac
Yavel qui occupa tout l’écran pour montrer le degré de son écoute.

Maximilien se gratta le menton pensivement.

— C’est marrant car mes problèmes dans le réel
correspondent pour une fois à mes problèmes dans le jeu
Évolution
 :
le siège des châteaux forts.

Maximilien fit un descriptif de ses ennuis au lycée et
l’ordinateur lui proposa d’effectuer avec lui des recherches dans l’histoire
des sièges de forteresses au Moyen Âge. À l’aide de son modem, la machine se
brancha sur un réseau d’encyclopédies historiques et lui envoya des images et
des textes.

À sa grande surprise, Maximilien découvrit qu’assiéger des
châteaux forts nécessitait des stratégies beaucoup plus complexes qu’on ne se
l’imaginait en regardant des films de cape et d’épée. Dès l’époque romaine,
chaque général avait cherché des idées pour affronter les murailles des villes
et des forteresses. Il apprit ainsi que les catapultes ne servaient pas
uniquement à lancer des boulets. Leurs dégâts étaient bien trop limités. Non,
les catapultes avaient surtout pour but de démoraliser les assiégés. Les
assiégeants leur expédiaient ainsi des barils de vomissures, d’excréments et
d’urine, ils balançaient des otages vivants, utilisaient l’arme bactériologique
en envoyant dans les points d’eau des cadavres d’animaux morts de la peste.

Les assiégeants creusaient en outre des tunnels sous les
remparts, les étayaient avec du bois et les remplissaient de fagots. À un
moment donné, ils y mettaient le feu et les tunnels s’effondraient, faisant
s’affaisser du même coup les murailles. Il n’y avait alors plus qu’à charger en
profitant de l’effet de surprise.

Les assiégeants se servaient aussi de boulets de fonte
chauffés, d’où l’expression « tirer à boulets rouges ». Les dommages
n’étaient pas considérables mais il était facile d’imaginer les craintes d’une
population redoutant à tout instant de recevoir sur la tête un boulet brûlant
venu du ciel.

Maximilien suivait, effaré, les images qui défilaient sur
son écran. Il existait mille techniques de siège. À lui d’inventer celle
correspondant à la prise d’un lycée de béton de forme carrée, en notre temps.

Téléphone. Le préfet voulait savoir où en était l’émeute. Le
commissaire Linart l’informa que les manifestants étaient bel et bien confinés
dans le lycée, cernés par la police, et que plus personne ne pouvait y entrer
ou en sortir.

Le préfet le félicita. Il craignait seulement que la
plaisanterie ne fasse tache d’huile. Il importait au plus haut point d’empêcher
l’émeute de prendre de l’ampleur.

Le commissaire Linart signala son intention de mettre au
point une technique d’assaut pour reprendre le lycée.

— Surtout pas, s’effaroucha le préfet. Vous ne voulez
quand même pas transformer ces petits trublions en martyrs ?

— Mais ils parlent de renverser le monde, de faire la
révolution. Tous les gens du quartier entendent les discours de leur Pasionaria
et s’inquiètent. On a des plaintes officielles. En plus, jour et nuit, leur
sono empêche tout le monde de dormir…

Le préfet insista sur sa théorie du
« laisser-pourrir ».

— Il n’y a aucun problème qui ne finisse par se
résoudre si on lui applique cette technique : ne rien faire et laisser
pourrir.

Tout le génie français tenait selon lui dans cette
formule : « laisser pourrir ». C’est en laissant pourrir le jus
de raisin qu’on obtenait les meilleurs vins. C’est en laissant pourrir le lait
qu’on produisait les meilleurs fromages. Même le pain était issu d’un mélange
de farine et de levure, donc de champignons.

— Laissez pourrir, laissez pourrir, mon cher Linart.
Ces gamins ne parviendront jamais à rien. D’ailleurs, toutes les révolutions
pourrissent d’elles-mêmes. Le temps est leur pire ennemi, il fait tout
fermenter.

Le préfet souligna qu’à chaque fois qu’il envoyait ses
hommes à la charge, Linart ressoudait les rangs des assiégés et les rendait
plus solidaires. Qu’il les laisse en paix et ils finiraient par s’entre-déchirer
telle une meute de rats enfermés dans une boîte.

— Vous savez, mon cher Maximilien, il est très
difficile de vivre en société. Être plus d’un dans un appartement, c’est déjà
une gageure. Vous en connaissez beaucoup, vous, des couples qui ne se disputent
pas ? Alors, imaginez, vivre à cinq cents dans un lycée clos ! Ils
doivent déjà se chamailler pour des histoires de robinet qui coule, d’affaires
volées, de télévision en panne ou de gens qui fument à côté d’autres qui ne
supportent pas la fumée. C’est dur de vivre en groupe. Croyez-moi, ce sera
bientôt l’enfer là-dedans.

 

121. L’INSTANT OÙ IL NE FAUT PAS SE PLANTER

 

Julie se rendit dans la salle de biologie et brisa toutes
les fioles. Elle libéra les souris blanches qui servaient de cobayes. Elle
libéra les grenouilles et même les lombrics.

Un tesson de verre la blessa à l’avant-bras et elle aspira
le sang qui perlait sur son épiderme. Elle se réfugia ensuite dans la salle de
cours où le professeur d’histoire l’avait mise au défi d’inventer une
révolution sans violence capable de changer le monde.

Seule dans la classe déserte, Julie parcourut l’
Encyclopédie
du Savoir Relatif et Absolu
en quête de passages concernant les
révolutions. Une phrase du cours d’histoire lui martelait la tête :
« Ceux qui n’ont pas compris les erreurs du passé sont condamnés à les
reproduire. »

Elle feuilleta le livre à la recherche de toutes les
expériences possibles. Il fallait apprendre comment les autres s’en étaient
tirés ou ne s’en étaient pas tirés, et en faire bénéficier sa propre
révolution. Que tous ces utopistes du passé ne soient pas morts pour rien. Que
leurs échecs ou leurs initiatives lui profitent.

Julie dévora l’histoire de révolutions connues et aussi
celles de révolutions inconnues qu’Edmond Wells semblait avoir pris un malin
plaisir à répertorier. La révolution de Chengdu, la croisade des enfants… Plus
adultes, la révolution des Amish en Rhénanie et celle des Longues-Oreilles à
l’île de Pâques.

La Révolution, finalement, c’était une matière comme une autre,
une matière non inscrite au bac, mais fort intéressante et qui pouvait
s’étudier comme telle.

Elle voulut prendre des notes. À la fin du livre, il y avait
des pages blanches avec, en tête : « Notez ici vos propres
découvertes. » Edmond Wells avait pensé à tout. Il avait réalisé un
véritable ouvrage interactif. Vous lisez, ensuite vous écrivez vous-même. Elle
qui, jusque-là, avait tant de respect pour le livre qu’elle n’osait jamais y
annoter quoi que ce soit se permit d’inscrire au stylo directement dans l’
Encyclopédie
 :
« Apport de Julie Pinson. Comment réussir de manière pratique une
révolution. Fragment n
°
 1 ajouté d’après expérience au lycée de
Fontainebleau. »

Elle consigna les leçons qu’elle en avait recueillies et ses
avis pour le futur.

Règle révolutionnaire n
°
 1 : Les
concerts de rock dégagent suffisamment d’énergie et génèrent suffisamment
d’empathie pour susciter des mouvements de foule de type révolutionnaire.

Règle révolutionnaire n
°
 2 : Une seule
personne ne suffit pas à manier une foule. Il faut donc, à la tête d’une
révolution, non pas une seule mais au moins sept ou huit personnes. Ne
serait-ce que pour prendre le temps de réfléchir et du repos.

Règle révolutionnaire n
°
 3 : Il est
possible de gérer une foule en bataille en la divisant en groupes mobiles ayant
chacun à sa tête un chef disposant de moyens de communication rapides avec les
autres chefs.

Règle révolutionnaire n
°
 4 : Une
révolution réussie suscite forcément des envieux. Il faut éviter à tout prix
que la révolution n’échappe à ceux qui l’ont inventée. Même si l’on ignore ce
qu’est exactement la révolution, il faut absolument savoir ce qu’elle n’est
pas. Notre révolution n’est pas violente. Notre révolution n’est pas
dogmatique. Notre révolution n’est apparentée à aucune révolution ancienne.

En était-elle réellement sûre ? Elle biffa cette
dernière phrase. Somme toute, elle voulait bien l’apparenter à une révolution
ancienne à condition d’en trouver une sympathique. Mais y avait-il eu dans le
passé des révolutions « sympathiques » ?

Elle reprit l’E
ncyclopédie
à son début. Jamais elle
ne s’était montrée élève aussi assidue. Elle apprenait des passages par cœur.
Elle étudia la révolte des Spartakistes, la Commune de Paris, la révolte de
Zapata au Mexique, les révolutions de 1789 en France et de 1917 en
Russie, celle des Cipayes en Inde…

Il existait des constantes. À l’origine des révolutions, il
n’y avait généralement que de bons sentiments. Ensuite, survenait toujours un
petit malin qui profitait de la confusion générale pour récupérer l’élan de
tous et instaurer sa tyrannie. Les utopistes, eux, se faisaient massacrer dans
l’action et servaient de martyrs pour faire le lit de ces petits malins.

Che Guevara avait été assassiné, et Fidel Castro avait
régné. Léon Trotski, le créateur de l’Armée rouge, avait été assassiné, et
joseph Staline avait régné. Danton avait été assassiné, et Robespierre avait
régné.

Julie se dit qu’il n’y avait aucune morale dans le monde,
même dans celui des révolutions. Elle lut encore quelques passages et pensa
que, s’il existait un dieu, il devait être fort respectueux de l’homme pour lui
laisser tant de libre arbitre et lui permettre d’accomplir de telles quantités
d’injustices.

Pour l’heure, sa propre révolution était un joli bijou tout
neuf qu’il importait de préserver des prédateurs, extérieurs et intérieurs.
Elle avait éloigné les récupérateurs du premier jour mais elle savait que, d’un
instant à l’autre, d’autres risquaient de surgir. Il fallait se montrer dur
avant de se permettre le luxe de la douceur. Et de déduction en déduction, elle
en vint à la pénible conclusion que les États précaires ne peuvent s’autoriser
les délices de l’exercice de la démocratie. Se montrer fort était un devoir,
quitte à relâcher plus tards les rênes, au fur et à mesure que la communauté
apprendrait à s’autogérer.

Zoé pénétra dans la salle d’histoire. Elle apportait un
jean, un pull et une chemise bleus.

— Tu ne peux plus continuer à te balader avec ta robe
de papillon.

Elle remercia Zoé, prit les affaires, referma cette encyclopédie
qui ne la quittait plus et fonça vers les douches du dortoir. Sous l’eau
bouillante, elle se frotta avec un savon dur, comme pour arracher son ancienne
peau.

 

122. MILIEU DU RÉCIT

 

Reflet. Maintenant Julie Pinson était propre. Elle avait
enfilé les vêtements que lui avait remis Zoé. Bleu était le jean, bleue était
la chemise, pour la première fois de sa vie, elle n’était pas habillée de noir.

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